… des kilomètres de traits …
“Comme toute histoire, celle-ci a un début, mais on espère qu’elle n’aura jamais de fin…
Celle d’Annie et de ses peintures commence presque toujours par une escapade, par des kilomètres de marche tranquille, par une fusion paisible avec l’environnement qui l’entoure et par des regards qui se perdent sur des formes laissées là par la nature, par son usure et par le temps… la mer et son ressac, la forêt et ses mouvements, l’humain et son activité. Sans doute, parce que depuis des années, elle ne voit ce qui l’entoure qu’en masses de couleurs, en traits et en pointillés. Il arrive qu’un bois flotté rejeté par la mer, qu’un bout d’arbre tronçonné, qu’une écorce ou encore qu’un morceau de papier chiffonné commencent à l’obséder. L’obsession n’est ici pas un mot si fort, vous le comprendrez en découvrant son travail. Tentons, d’abord de comprendre
la suite de l’histoire…
C’est donc à partir de cette trouvaille, qui pour beaucoup ne serait pas grand chose, mais qui pour elle est déjà un trésor, que ses yeux se mettent à briller et son esprit à divaguer. Elle se voit déjà le nettoyant, le scrutant, le peignant des heures durant, lui donner une autre vie… Tout se joue alors ici. Pour que cet objet garde cette apparence de trésor, il devra sortir de son contexte et passer l’étape du retour à l’atelier. Après des heures de bichonnage ; récuré, brossé puis séché, il arrive enfin sur sa table d’atelier.
Au détour d’une forêt, dans son coin de paradis, Annie s’installe dans son atelier, son trésor sous ses yeux brillants et malicieux ; son obsession commence… Entre art brut, folie et rite, Annie s’évade. Pendant des heures, au pinceau, au cure-dent, ou à l’aiguille, elle sculpte sa peinture. Des kilomètres de traits redessinent chaque détail du bois, chaque creux est méticuleusement choisi pour être souligné ou laissé à la suggestion.
À la regarder, je me demande parfois ce qui traverse son esprit, ce qui se joue lors de cette étrange transe, nous ne nous parlons plus. Elle m’avoua un jour qu’elle sentait parfois sa raison s’évader, qu’elle s’entendait comptant les points, “un, deux, trois, quatre… de la peinture… un, deux, trois, quatre, etc…” Heureusement que son esprit ne l’a pas emmenée dans les couloirs sombres d’une obsession maladive… Ses murs et chaque détail de ce qui l’entoure seraient sûrement depuis longtemps recouverts de points.
Des kilomètres de traits pour magnifier un objet, lui donner un nouveau souffle, nous raconter une autre histoire. Nous nous perdons alors dans un réseau dense de vaisseaux sanguins, dans les nervures de la nature, dans un labyrinthe et ses mille chemins. Annie nous emmène dans son imaginaire, elle nous plonge dans sa folie et son obsession devient la nôtre. Ses heures de travail deviennent nos heures de contemplation. Nous suivons son chemin, ses kilomètres de traits…”
À ma mère,
Samba
“L’ayant connue, si loin, à l’aube d’une autre vie
Si chaque jour est un point il faudrait à Annie
quatorze mille cinq cent fois poinçonner à l’envi
sur un marbre sur un bois flotté ou bien poli !
Toujours elle a tracé grâce à sa myopie
des routes en pointillés liant les infinis.
Sa mise au point se voile en quête d’une issue ?
Elle sait tisser sa toile entre l’âme et la vue,
jeter encore un pont de l’immense au micron
afin de sublimer l’équilibre parfait :
Logique ou émotion, réel ou illusion…
Et rendre un sens abstrait à un objet qu’on crée.”
Laurent Delebarre